Une lettre anonyme adressée à Brice Hortefeux

Le Chasse-clou a reçu hier par la Poste la copie d’une lettre anonyme adressée à Brice Hortefeux et qu’il publie ici – en exclusivité – à titre d’information, compte tenu de la situation politique présente.

L’enveloppe, dactylographiée comme le texte qu’elle contenait, ne portait pas de nom d’expéditeur et le timbre à date était illisible.

« Monsieur le ministre Hortefeux,

J’ai l’honeur de porté à votre connaissance les faits suivant.

Samedi, alors que je me promenai place de la Concorde à Paris, j’ai remarquai un bus étranger qui stationait pas loin de l’obélix de Louxor et qui m’a paru suspé.

Or, vous savez comme moi que l’ambassade des Etats-Zunis est situé pas loin et peut représentez une cible de choit pour un attentat teroriste, ceux dont vous nous avez mis en garde à vue avec raison car il vaut mieux prévenire que guérire.

Actuel-ment, il ne faut pas relaché la pression et je suis étoné de n’avoir pas vu de police près du monument égiptien que certains izlamiztes pouraient vouloir récupéré et rapatrié chez eux en catimini.

Mais depuis les Pays bas des zintégristes avec leurs passe-ports europeens peuvent se déplacez librement chez nous sous prétext de tourisme.

Il serait donc indispenssable d’interdire toute circulation à Paris dans les lieux atractifs que vienne visité les étrangers : tour Effel, moulin Rouge, Sacré-cœur (une hinsulte visible pour tous les musulmans), musé Baubour, galeries Lafaïette… et arrêté le métro mais il parait que la RATP va s’en ocuppé prochaînement.

Je vous join avec cette lettre des photos (cliqué pour les agrandire) qui peuvent être utile pour une enquaite urgente de vos services.

Croyé, Monsieur le ministre Hortefeux, à mon entier dévoûment.

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Signé : Un bon Français »

« Le Vaincre »

C’était un pur instant de calme, seuls le léger clapotis de la Seine, son friselis, et quelques pépiements d’oiseaux perçaient le roulement de la circulation automobile encore faible. Dans notre dos, ce bateau se balançait imperceptiblement au gré des ondes laissées par les vedettes à touristes qui embarquent au Pont Neuf.

le-vaincre1_bd.1282630445.jpg (Photo : cliquer pour agrandir.)

J’ai su plus tard que se tenait juste en face, puisque nous étions tout en bas du quai Conti, l’exposition d’un grand photographe ; il paraît qu’elle se terminait dès le lendemain, dimanche. Mais je n’avais pas étudié le programme des sorties dans la capitale et nous vagabondions seulement au gré de notre fantaisie.

le-vaincre2_bd.1282630568.jpg (Photo : cliquer pour agrandir.)

Le nom de la petite péniche m’a fait penser au dernier film de Bellochio, Vincere : c’était sans doute un signe, même si je ne suis pas Italienne. J’ai pourtant décidé de te vaincre, en quelque sorte, et j’ai posé ma jambe sur toi, je l’ai décochée comme une flèche, je te l’offrais et qu’importe que ce geste amoureux puisse être aperçu – qui sait ? – par un simple piéton de Paris.

le-vaincre3_bd.1282630712.jpg(Photo : cliquer pour agrandir.)

Benoît Dehort

Touristes et « gens du voyage »

Tandis que se poursuit la politique visant à restreindre les droits des Roms, les touristes profitaient des derniers feux du soleil à Paris : c’était le cas samedi dernier. Mais ne sont-ils pas, après tout, eux aussi, des « gens du voyage » ? Une législation spécifique ne devrait-elle pas leur être appliquée, par mesure de précaution et de salubrité publique ?

touristes1_dh.1281931601.jpg(Photo : canal Saint-Martin, Paris, 10e, le 14 août. Cliquer pour agrandir.)

En effet, est-il bien normal que des étrangers (Américains, Hollandais, Anglais, Belges…) viennent ainsi se balader en toute tranquillité sur nos routes, dans nos villes et villages, nos rues, nos canaux, sans être soumis à un certain nombre d’obligations ?

Il apparaît indispensable qu’ils puissent prouver (par un examen préalable avant leur entrée sur le territoire national) leur capacité à parler français, leur connaissance des mœurs et de l’Histoire de notre pays, le respect de ses coutumes, et qu’ils dépensent un minimum d’argent chez nos commerçants (le montant sera fixé par décret annuel),  après avoir déposé à l’avance leur itinéraire et planning d’occupations au commissariat de police ou à la gendarmerie de leur lieu de villégiature.

touristes2_dh.1281931738.jpg(Photo : cliquer pour agrandir.)

Si la France est la destination mondiale numéro 1 pour le nombre de touristes qu’elle attire, peut-on tolérer que certains ressortissants de pays frontaliers viennent contribuer dans le même temps à obstruer nos autoroutes avec leurs caravanes, remplir nos campings au détriment des « nationaux », s’étaler sur nos plages souvent avec indécence (combien de seins nus sont-ils d’origine étrangère ?), s’entasser aux terrasses des cafés et des restaurants en buvant et rotant sans retenue, tout en faisant retentir fortement des idiomes qui écorchent les oreilles des autochtones ?

Il est temps que Brice Hortefeux se penche sur cette délicate question. Certes, notre balance commerciale enregistre avec satisfaction (6,3 % de notre PIB) ces flux migratoires, heureusement périodiques et fonctionnant dans les deux sens. Mais notre identité nationale ne risque-t-elle pas de s’effriter chaque année un peu plus à cause de cette invasion non contrôlée ?

D’après nos informations recueillies à bonne source, la création d’un grand Ministère de la gestion des touristes (MGT) – visant à réguler précisément leur afflux – est à l’étude : celui-ci serait rattaché logiquement au ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales.

Une casquette (ou un képi) de plus pour un ami fidèle du chef de l’Etat.

touristes3_dh.1281931964.jpg(Photo : cliquer pour agrandir.)

Dominique Hasselmann

Les Chasses du comte Zarko

Alors que dans sa lettre du 28 juin dernier adressée à François Fillon, Nicolas Sarkozy écrivait notamment : « J’ai aussi décidé de mettre un terme aux chasses présidentielles, qui seront remplacées par de simples battues de régulation, nécessaires aux équilibres naturels, et qui seront confiées à la gestion du ministre de l’Agriculture », il semble bien que la chasse à l’homme continue de plus belle, ainsi que l’observe Claude Guéant dans Le Figaro Magazine de ce jour.

Il fallait un gibier, et c’est moi qui ai été désigné. Les cors et trompes de chasse retentissent, l’hallali sonnera-t-il bientôt ? Ma tête ornera-t-elle alors, accrochée sous forme de trophée, l’un des murs de la grande salle du Château ?

J’ai revu récemment le célèbre film fantastique d’Ernest B. Shoedsack et Irving Pichel, Les Chasses du comte Zaroff  (1932) : que d’analogies et de ressemblances avec ma situation actuelle !

Lâché dans la nature médiatique hostile, avec au loin cette île d’Arros située aux Seychelles, et que je n’ai jamais connue autrement qu’en photo, voilà que je suis devenu la victime expiatoire d’une immense machination destinée à faire passer au second plan, pour les Français, la réforme nécessaire des retraites.

On attaque mon épouse, ma famille, mon honneur. Des enregistrements, sans doute trafiqués, sont reproduits dans la presse. Liliane Bettencourt semble prendre tout cela avec calme et résignation, mais je n’ai ni son âge ni sa philosophie. Je suis poursuivi par la meute, « jeté aux chiens », comme l’a dit le Premier ministre, et certains s’enhardissent maintenant à me mordre les mollets.

le-point_dh.1278134093.jpg(Photo : Paris, hier. Cliquer pour agrandir.)

J’en viens même à me demander, malgré les soutiens officiels qui me sont accordés, si je ne représente pas en réalité le martyr parfait, la solution idéale qui permettrait de crever l’abcès du bouclier fiscal, ce péché de jeunesse que nous traînons comme un boulet depuis mai 2007 quand Nicolas Sarkozy fut élu pour prendre les affaires du pays – oui, toutes les affaires ! – en main.

J’entends les sonneries déchirantes, je vois les grands équipages vêtus de rouge, couleur sang, avec leurs bombes et bottes noires, caracoler entre les arbres  et se rapprocher de moi impudemment. Dans la forêt de Chantilly, les taillis et futaies ne suffisent plus à me protéger de cette battue innommable : Les Chasses du comte Zarko seraient-elles dorénavant lancées, malgré lui, contre ma personne ?

Des amis qui me veulent du bien (il en reste une poignée) me disent que je délire, que mon imagination bat la campagne, que la folle du logis s’est installée chez moi…

Mais, soudain, voici que l’on sonne à la porte : Florence, peux-tu ouvrir ?

Quatre hommes habillés de blanc pénètrent dans l’appartement, m’attachent sur une civière avec des sangles de cuir et me portent par l’escalier jusque dans la rue. Une ambulance avec l’inscription « véhicule climatisé » stationne en bas, le moteur au ralenti, il est 6 heures du matin. Et puis elle démarre immédiatement, je suis allongé dans le sens de la marche et je peux distinguer, par le pare-brise avant, l’itinéraire que nous prenons dans Paris désert.

Au bout d’une demi-heure de trajet, j’aperçois le portail d’un bâtiment imposant. Voici donc la délivrance sur ordonnance. Enfin, je vais pouvoir me reposer, dormir, m’évader dans les limbes du grand sommeil, tout oublier : tout ceci n’était, bien sûr, qu’un mauvais rêve.

sainte-anne_dh.1278134339.jpg(Photo : Paris, 1er juillet. Cliquer pour agrandir.)

Dominique Hasselmann

Quel plus beau symbole qu’un parti politique au nom d’amour ?

Après toutes ces supputations, cogitations, réflexions, la décision avait été enfin prise et la naissance annoncée.

Le mouvement diffus s’était concrétisé dans une armature d’organisation avec chef, statuts, principes, objectifs. Les fonds réunis, les sympathisants rameutés, les locaux dénichés, tout filait maintenant sur des roulettes. La dénomination était l’œuvre d’un cabinet spécialisé, le logo avait été créé dans la foulée, et grâce à d’intenses réunions de « brain storming » tout le « staff » s’était mis d’accord sur la proposition qui tenait la corde.

Lancer un nouveau parti politique ne relevait pas de la sinécure. Car cela engageait aujourd’hui et demain : la moindre erreur pouvait se révéler fatale. Il fallait trouver le nom qui soit à la fois le plus simple, le plus fort et le plus mémorable ; son évidence devait sauter aux yeux, s’incruster dans l’esprit, sembler en somme avoir déjà existé avant même qu’il soit prononcé.

Mais il était nécessaire aussi que le nom comporte ce je ne sais quoi d’original, d’innovant qui permette son appropriation – comme un habit neuf que l’on choisit dans un magasin en sachant que c’est celui-là et non un autre – tout en gardant un léger rappel historique le reliant à la longue chaîne des organisations démocratiques. Alliance du jour entre le passé et l’avenir, pont jeté hardiment entre deux rives par-dessus les flots impétueux de la bataille politique de plus en plus impitoyable…

Heureusement, les recherches d’antériorité avaient démontré que personne n’avait utilisé ces mots autrement que pour de petites associations de type bénévole. Mais aucun parti politique d’envergure, comme le serait celui qui était maintenant porté sur les fonts baptismaux, ne s’était hasardé sur ce territoire : il fallait croire qu’il restait vraiment du terrain à défricher !

La date de la conférence de presse pour annoncer la grande nouvelle était déjà fixée, les invitations imprimées, le lieu choisi : le 13 juillet, place de la République, Paris. Comme la « garden-party » élyséenne du lendemain avait été annulée pour cause de dépenses somptuaires soudain découvertes, on pourrait attirer en outre une partie des personnalités fréquentant habituellement ce genre de pince-fesses (le listing avait été récupéré discrètement).

Ainsi, le défilé militaire du 14-Juillet sur les Champs-Elysées apparaîtrait-il entaché par l’événement de la veille, son retentissement la présence de toute la presse française et internationale était d’ores et déjà acquise – et chaque soldat marcherait au pas cadencé comme un pion virtuellement dirigé, sur l’échiquier stratégique de 2012, contre l’occupant actuel du palais présidentiel.

Désormais, la machine de guerre était lancée. Quel plus beau symbole qu’un parti politique au nom d’amour ?

societet-philanthropique_dh.1277529945.jpg(Photo : Paris, rue de Bellechasse, 7e, le 24 juin. Cliquer pour agrandir.)

Dominique Hasselmann

Une idée de Borges

Hier soir, après 20 heures, la voix enjôleuse de Katleen Evin revenait sur la vie et l’œuvre de l’écrivain fantastique en compagnie de Jean-Pierre Bernès (même nombre de lettres dans son nom à la dissonance approchante) : celui-ci vient de publier – en même temps que reparaissent deux nouveaux tomes de La Pléiade – un livre intitulé : J. L. Borges : La vie commence, Le Cherche-midi éditeur.

J’ai relu ensuite juste une nouvelle qui figure dans Fictions (Folio/Gallimard N°614, édition de septembre 1988) : La bibliothèque de Babel, d’où proviennent les citations extraites ici.

« Comme tous les hommes de la Bibliothèque, j’ai voyagé dans ma jeunesse ; j’ai effectué des pèlerinages à la recherche d’un livre et peut-être du catalogue  des catalogues ; maintenant que mes yeux sont à peine capables de déchiffrer ce que j’écris, je me prépare à mourir à quelques courtes lieues de l’hexagone où je naquis. » (page 72)

En regardant plus tard ces photos d’un « tube » Citroën, captées dimanche dernier, j’imaginais être devenu presqu’aveugle. Les images flirtaient soudain avec l’impressionnisme (problème de mise au point prise en défaut par l’imprévu).

tube1_dh.1275973872.jpg(Photo : cliquer pour agrandir.)

Le livre n’était pas de sable mais de macadam : les véhicules se bousculaient dans la confusion molle du rêve diurne. Le carrousel autour de la statue au rameau d’olivier se perpétuait sur un rythme de tango. L’accordéon était sorti du métro labyrinthique. Les ombres perdaient leurs couleurs (ne subsistait évidemment que le jaune et un peu de rouge). Ce qui devait être écrit demeurerait comme une simple possibilité de mouvement.

« Je le répète : il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. Par exemple : aucun livre n’est aussi une échelle, bien que sans doute il y ait des livres qui discutent, qui nient et qui démontrent cette possibilité, et d’autres dont la structure a quelque rapport avec celle d’une échelle. » (page 79)

L’apparition du petit camion, maintenant que j’y repense, après avoir entendu la voix de Borges s’exprimant en français et reparcouru sa Bibliothèque qui provoque « un bonheur extravagant », ne pouvait être fortuite, elle annonçait la présence sonore, un jour plus tard, de l’auteur incomparable, dispersé en des millions de livres comme un nuage de cendres sur la planète (le volcan islandais, était-ce un signe ?), transporté peut-être lui-même dans ce genre de bibliobus si trouble.

« Je ne puis combiner une série quelconque de caractères, par exemple

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que la divine Bibliothèque n’aie déjà prévue, et qui dans quelqu’une de ses langues secrètes ne renferme une signification terrible. »

tube2_dh.1275974042.jpg(Photo : cliquer pour agrandir.)

Dominique Hasselmann

Septième prise

La caméra tournait, chacun tenait sa place et la vedette naissante attirait immanquablement la lumière : comme une phalène en plein jour. Mais ce plan devait être encore recommencé car, à chaque fois, un détail clochait, un passant débouchait de sous un porche, trompant ainsi les vigiles avec talkies-walkies placés aux deux extrémités de la rue, ou bien une erreur d’interprétation se glissait par rapport au script établi.

Les projecteurs trop violents faisaient mal aux yeux et je me demandais comment les acteurs pouvaient jouer sans porter en permanence des lunettes de soleil.

Il s’agissait pourtant d’un simple dialogue entre elle et lui. Ils étaient au bord de la rupture et là, devant la vitrine de ce magasin de vêtements, ils commençaient à se déchirer : un premier lambeau de leur entente passée tomberait à terre, on suivrait ainsi ce strip-tease psychologique pendant quelques minutes avant que le film ne prenne une autre direction.

Le cinéaste examinait les rushes sur l’écran de contrôle mais essayait surtout de penser à la suite de son histoire ; le scénario semblait trop lâche, évanescent, et Jacques Lemince comptait sur l’idée qui débarque au dernier moment, l’accident bienheureux, l’imprévu qui le sortirait de l’ornière dans laquelle il avait l’impression de s’être embourbé.

— Lancez la B.O. pour l’ambiance ! dit-il.

Car une histoire de couple qui casse comme un élastique trop tendu, le public en avait déjà rencontré un certain nombre… Il fallait introduire là un élément qui surprenne, émeuve et « sonne » le spectateur qui en garderait la trace imprimée dans la rétine et dans l’oreille.

Maintenant, les répliques devaient être aussi modifiées.

— Je te dis que je l’ai jamais vue, cette fille, comment aurais-je pu avoir un rendez-vous avec elle ?

— Pourquoi alors tu as reçu ce SMS sur ton portable : « OK pr ce sr au corb blanc Mo goncourt trot gauch en des 100 dents. Vero » ?

— C’est une erreur de destinataire, je ne connais aucune « Vero », e vero !

Non, ce n’était pas terrible.

— Je te répète que je ne vois pas qui c’est !

— Et le SMS que j’ai lu sur ton téléphone, que tu as laissé traîner : « Yes 20 h ce sr au merl moqr Mo pl italie trot droite dev toit Graziella », j’ai rêvé peut-être ? C’est quoi, ça ?

— Quelqu’un s’est trompé de numéro, j’ai jamais vu ni entendu ce prénom, comment tu dis, « Graziella », per que ?

Le chef op’ s’impatientait.

Juste avant cette scène, l’actrice montrait des signes de grande tension nerveuse. Elle décapsulait et buvait des Carlsberg à la file et fumait des Craven « A » (elle aimait sucer leur bout-filtre de liège) sans discontinuer.

— Mais ça va durer encore longtemps, ce cirque ? Jacques, tu n’es qu’un lamentable crétin ! Et toi, Christian Destouches, pauvre has-been, haricot flétri, retourne dans ta tribu de Gaulois ou bien va plonger dans ta piscine en Corse !

Roberte ce soir fouilla dans son sac à main, posé sur le groupe électrogène qui alimentait le semi-remorque de la cantine, attrapa son revolver Smith & Wesson 442 Airweight et visa celui qui était l’ami du président de la République.

La détonation fut plus forte que l’on aurait pu l’imaginer.

Sur la veste noire du premier rôle, qui avait sauté en arrière, à l’horizontale, une fraction de seconde après le coup de feu, la boutonnière préposée à la Légion d’honneur laissait échapper une tache rouge de dimension plutôt inhabituelle et qui dégoulinait sans retenue.

— Coupez ! Parfait ! On garde la septième prise ! dit le réalisateur. 

vauxhall_dh.1275622408.jpg (Photo : cliquer pour agrandir.)

Dominique Hasselmann

Ali et les « hors-la-loi »

       Allô, Ali ?

       Oui, c’est moi.

       Tu es où, là ?

       Je suis à Stalingrad, Kateb, et je vais au cinéma !

       Tu es parti en Russie ?

       Mais non, place de la bataille de Stalingrad… dans le dix-neuvième !

       Tiens, j’ai pensé à toi.

       Ah bon, pourquoi ?

           Tu as suivi toute la polémique à cause du film Hors-la-loi projeté à Cannes ?

       Oui, décidément, certains Français n’ont toujours rien compris !

       Dire que le député-maire de Cannes, Bernard Brochand (UMP) était à la tête de la manifestation, avec le député des Alpes-Maritimes Lionnel Luca (UMP)…

      Ils n’avaient même pas vu le film, vendredi matin, qu’ils se répandaient déjà dans les rues pour protester !

       D’après la police, ils étaient au nombre de 1200…

       Oui, mais c’est une sorte de censure qu’ils réclamaient. J’ai entendu un de ces zozos déclarer à France Inter : « Non, je ne l’ai pas vu, mais ce film est scandaleux, il est à sens unique, pro-FLN et anti-français ! »

           Le réalisateur, Rachid Bouchareb, fait peut-être un peu de provocation ?

       Ecoute, Kateb, le 8 mai 1945, à Sétif, l’armée française a bombardé la population et il y a eu des milliers de morts : on ne peut pas effacer l’Histoire comme ça !

       Oui, mais faut-il toujours revenir sur le passé ?

       Tu sais, j’ai vécu la guerre d’Algérie, j’avais 20 ans dans les Aurès, j’étais dans les rangs des partisans de l’indépendance (les manifestants cannois criaient « FLN assassin ! » comme s’il existait encore), et crois-moi, ce n’était pas de l’amusette, si c’est de l’anisette maintenant pour certains !

       Au fait, tu vas voir quoi, comme film, Ali ?

       Le titre, c’est Copie conforme, avec Juliette Binoche…

       Connais pas, c’est de qui ?

       Abbas Kiarostami, un Iranien, encore un étranger ! 

a-stalingrad_dh.1274594125.jpg (Photo: Paris, place de la bataille de Stalingrad, 19e, vendredi. Cliquer pour agrandir.)

Dominique Hasselmann

Sensation sublime et fugitive

Je me suis jeté à la page comme à l’eau : je ne savais pas si j’atteindrais la rive opposée. Le flot me semblait une barrière infranchissable tandis que je nageais, c’était comme un mur d’averse que je pénétrais du bout des doigts et chacun d’eux effectuait son travail en coordination avec les autres, les temps modernes me plaquaient les cheveux shampouinés au sel de Guérande.

Jamais je ne pensais aux abysses sous mon corps car ils auraient pu m’attirer vers eux, dans leur monde muet à la couleur vert sombre, avec le cuivre de leurs coquillages, les fleurs vénéneuses chopant le plancton en faction, les nuages de sable ou d’encre camouflant des meurtres désirés, les frôlements ou feulements silencieux des grands squales laiteux, les bancs innombrables de poissons comme des escadrilles d’hirondelles sous-marines.

J’étais comme un esquif esquivant les vagues mais replongeant régulièrement dans leur caresse violente, je surnageais avec résolution, le courant me portait et m’importait vers une destination inconnue, je respirais sans tuba, les yeux mouillés de pleurs maritimes, je ne pouvais m’arrêter pour les essuyer car mon mouchoir était en papier.

Mes pieds battaient le rythme, mon cœur aussi, pompe régulière dispatchant l’eau de mer dans mes veines et artères : j’étais devenu une sorte de poulpe à tête humaine, mes ventouses me permettraient plus tard d’adhérer fortement à mes convictions. Le flux allait et fluctuait ; il me poussait inexorablement vers une plage, un débarcadère, un ponton, un port en eau profonde.

Il n’y avait rien à l’horizon, désespérément vide sans un point où accrocher le regard. L’étendue ne pouvait être mesurée même avec une chaîne d’arpenteur : après tout, je n’étais qu’un apprenti sans expérience et peu raisonnable.

Je serais englouti bientôt dans le ventre fécond, nourricier, baigné par le liquide amniotique retrouvé, paradis musical de l’inconscient, sensation sublime et fugitive, marée haute d’avant la première vision de l’enfance, celle qui me faisait résister encore à la surface des éléments cruels.

ileauxmoines_bd.1273989884.jpg (Photo : Ile-aux-Moines, Morbihan, avril 2009. Cliquer pour agrandir.)

Benoît Dehort

Hortefeux aux abois cherche aiguille dans botte de foin

Dans la rue Dieu (10e), l’œil n’est pas dans la tombe, il surplombe virtuellement celui qui passe ou parfois trépasse. Installez des caméras de vidéosurveillance (lire : « vidéoprotection ») partout, pas seulement en papier pour s’amuser, nous demandons tous à être filmés, c’est le festival de Cannes, après tout, il n’y a pas de raison que ce soit réservé à quelques privilégiés, même si on y projette un film de Jean-Luc Godard !

Acteurs de notre vie quotidienne, ce n’est pas suffisant ; même si la fin du scénario est connue – on ignore juste à peu près la durée du film – il est si plaisant de participer à telle ou telle séquence et de savoir que le metteur en scène (président de la République ou maire de la capitale) peut se faire projeter l’épisode dans lequel nous jouons.

aiguille1_dh.1273727744.jpg(Photo : Paris, manifestation du 1er mai. Cliquer pour agrandir.)

Bien sûr, l’insignifiance, la répétition, l’habituel, le sans-surprises, le train-train qui demeure à quai, tout cela, même enregistré, ne saurait fournir des histoires intéressantes, dignes d’être montées puis montrées aux responsables. Mais parmi cela, cette cohorte de piétons, cet embouteillage de voitures, ces cyclistes trompe-la-mort, ces motards trop tôt lancés sur le bitume et ratatinés à un carrefour, il y aura bien un jour l’événement qui permettra de remonter à la source : Hortefeux aux abois cherche aiguille dans botte de foin. Le petit chas est sans doute là. Tarnac, la niaque !

Aussi, le dispositif est-il mis en place pour notre bien, pour détecter celui qui prépare un attentat à Time Square et se déshabille en pleine rue, sans aucune précaution : non ce n’est pas un film projeté dans une cabine X, c’est juste un comédien amateur, pas terrible le casting, et le « pitch » ne vaut rien, mais les images l’ont saisi puis la police, alors vous êtes encore contre ?

Dans la rue Dieu, nous nous sentons protégés et non pas surveillés : l’Etat est de droit divin. Les vraies caméras seront installées progressivement, en attendant celles à domicile. Pourquoi une vie privée (déjà de beaucoup de choses) ? Notre existence doit être transparence, notre vie linéaire et non filer sur une erre imprévue. Si l’extérieur nuit, l’intérieur est à jour.

Faits et gestes captés, enrubannés et déposés aux archives nationales, au cas où. Le ménage des scènes étale les scènes de ménage. L’intimité est mitée… A moins de se cacher dans une cave inconnue des services de police, plus rien n’échappera de notre comportement au regard panoptique du surveillant général.

Le regard qui tombe du ciel est devenu objectif : chacun dispose d’un œil de verre (pas besoin de s’appeler Le Pen). Les visions sont multiples – caméras mobiles dissimulées sous globes discrets, ronde des sphères intouchables en haut des réverbères ou dans les grandes surfaces –  le grand-angle balaie les poussières humaines.

Traité d’athéologie à la mode d’Onfray, petit « déboulonneur » sans joie avec sa clé de 12 ? Non, futur traité de théologie de l’image enfin toute-puissante, déesse à longue focale de la vie capturée, emprisonnée, bâillonnée, mise sous cloche, épinglée comme un papillon d’Amazonie en voie de disparition.

aiguille2_dh.1273728037.jpg(Photo : Paris, rue Dieu, 10e, le 9 mai.)

Dominique Hasselmann